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Face au vent

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Nous marchions sur la digue quand je m’arrêtai pour regarder une silhouette sur la plage. Un gamin. Que diable fabriquait-il à cette heure ? Le vent forçait, comme toujours lorsque la marée monte. De là où j’étais, j’embrassais toute la côte. Rien n’avait changé ou si peu. La couleur des volets ici, le muret là-bas. Mes parents avaient acheté la maison du bout de la plage, nous y étions venus plusieurs étés. La route était longue et nous arrivions souvent en fin de journée, je me ruais hors de la voiture. A marée basse, la plage se déroulait à l’infini. D’un coup de pied, j’envoyais voler mes chaussures dans l’air déjà sombre. Et je courais, je courais jusqu’à cette ligne d’horizon où le soleil mourait peu à peu. Aujourd’hui tout me semblait étrange : ce ciel intense, que nous ayons possédé cette maison, les colombages de sa façade, que je me sois penchée par ces fenêtres grandes ouvertes sur la Manche. A l’intérieur, le froid vous saisissait, une vraie glaciaire disait ma mère. Les p...

Sous le pont

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© photo Vincent Midolo J’apprends à lire dans les nuages. J’aime les ciels comme aujourd’hui, plein de formes bizarres et dans chacune une histoire. Un bon génie sort d’une lampe, il se transforme en dragon, un chat géant court dans la forêt et dans le grenier de la chaumière, des souris dansent. Le temps passe vite quand je lis dans le ciel. Je n’aime pas les jours gris. Je m’ennuie. Alors ces jours-là, je m’entraîne à écrire sur le fil électrique. Comme une ligne tracée dans le ciel où je m’applique à poser mes lettres du bout de mon doigt. J’essaye de me souvenir de ce que le vieux disait - les boucles, fais attention aux boucles et ne lève pas ton stylo tant que tu ne les pas finies. Quelquefois j’ai le doigt raide à force de répéter le geste. Après, je regarde mes lettres s’envoler dans le ciel. Je me demande où elles partent. Elles me font penser aux hirondelles quand elles s’élancent vers le soleil. Je rêve qu'elles m'emmènent avec elles. Quand je me réveille, j’entend...

Pages brûlées

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  photo © Vincent Midolo Le vieux nous avait appris à lire dans ce livre, il nous l’avait apporté un soir dans la cave. Il nous faisait ânonner les syllabes. Un jour, Momo avait reconnu tout seul les premières lettres de son prénom, le vieux avait dit - c’est bien Momo, continue et bientôt tu sauras lire. Momo était fier et il avait couru dans le couloir en gueulant - Je sais lire, je sais lire ! A quoi ça a servi ? Les autres sont venus, le vieux et Momo ont disparu. Il ne reste plus que des pages brûlées. Fabienne Boidot-Forget  2 février 2025  Texte écrit dans le cadre  de l'atelier d'écriture d'Alexandra Koszelyk  D'après la photo de Vincent Midolo

La pianiste

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© photo Vincent Midolo J’écoute Listz ou plutôt je regarde Listz. Il a ce soir le visage d’une femme. Cheveux blonds. Vénitiens. Je vois son profil incliné au-dessus du clavier du piano. Steinway. Je lis les lettres d’or, elles scintillent sur le vernis noir. Les notes vont et viennent, un homme respire fort derrière moi. Silence. La main droite chante a dit la pianiste en préambule, ou bien était-ce la gauche ? Je ne suis pas pianiste. Mouvement. A deux bras de moi, la pianiste a un corps secoué, désarticulé soudain, les jambes possédées, le bras en arabesque. Danse assise au tabouret. Ce pourrait être le titre d’un tableau. Je penche vers la gauche. La courbe du piano. J’entraperçois le clavier, la main droite court sur les touches. Dominos blancs, crénelage noir. J’entends un cœur qui bat. Le mien. Une larme sur ma joue. Et c’est à ce moment qu'apparaît la photo. Fabienne Boidot-Forget  26 janvier 2025  Texte écrit dans le cadre  de l'atelier d'écriture d'Alexandr...

Les pieds dans l'eau

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© photo Vincent Midolo C’est mon banc, un petit banc de bois, certes un peu biscornu, la mousse s’y est accrochée au fil des ans, les planches ont gauchi. Depuis quelque temps, à chaque grosse pluie, la rivière déborde et laisse en souvenir une belle flaque. Mais même les pieds dans l’eau, mon banc et moi, nous résistons. Mon banc fait face à un petit bois, le bois des Oubliés. Je ne sais pas pourquoi il est nommé ainsi, j’ai toujours trouvé étrange qu’il puisse exister près de moi une forêt de gens dont personne ne voudrait se souvenir. Qu’avaient-ils pu bien faire pour être ainsi gommés de nos vies ? Cela me chagrinait. Un jour où j’étais assis sur mon banc, j’ai commencé à leur parler, un peu timide au départ, je ne les connaissais pas. Je gardais une certaine réserve, je ne voulais pas m’immiscer. Désormais je viens tous les jours et, même les pieds dans l’eau, je discute. Chacun a son histoire, ses souvenirs, parfois intarissables comme s’ils voulaient rattraper le temps perdu....

Fraxinelle

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  © photo Vincent Midolo Un silence de cendre Étouffe le monde, carbonisé Un voile noir a éteint Les torches, crépitantes Un suaire gris s’est couvert De poussières, asphyxiantes Et là, surgit entre deux planches, Les branches en croix, Un pauvre, survivant Un arbuste, combattant dans ce silence de cendre Mais aucune voix ne s’élève du buisson ardent Fabienne Boidot-Forget 12 janvier 2025 Texte écrit dans le cadre  de l'atelier d'écriture d'Alexandra Koszelyk D'après la photo de Vincent Midol o

Rue du Vieux Pont

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© photo Vincent Midolo Dimanche 5 janvier 2025, Max est mort ce matin. De ma fenêtre j’ai vu arriver les pompiers, la lumière bleue du gyrophare, j’ai entendu les allers et venues dans l’escalier, tout un ramdam, des pleurs, des gémissements. Et puis le silence quand la porte s’est refermée. Je suis à la fenêtre, j’ai le regard fixé sur la grue immobile.  Depuis quarante ans, j’habite le même petit logement situé deux étages au-dessus du local de la CGT, rue du Vieux Pont à Thironville. Ici on dit plutôt T1, ce qui signifie que la cuisine, la salle d’eau, le lit, tout se situe dans un périmètre rapproché, 19 mètre carrés au total, aucune place perdue. Quand j’ai emménagé, je trouvais que T1 ça sonnait riche. Aujourd’hui, je trouve que ça sonne étriqué, je préfère dire studio. A l’époque, tout était neuf, avec des odeurs de peinture qui donnaient un peu mal à la tête, alors j’ouvrais la fenêtre en grand pour laisser entrer l’air du dehors. J’aimais regarder les panaches de fumée q...