Les pieds dans l'eau
© photo Vincent Midolo
C’est mon banc, un petit banc de bois, certes un peu biscornu, la mousse s’y est accrochée au fil des ans, les planches ont gauchi. Depuis quelque temps, à chaque grosse pluie, la rivière déborde et laisse en souvenir une belle flaque. Mais même les pieds dans l’eau, mon banc et moi, nous résistons.
Mon banc fait face à un petit bois, le bois des Oubliés. Je ne sais pas pourquoi il est nommé ainsi, j’ai toujours trouvé étrange qu’il puisse exister près de moi une forêt de gens dont personne ne voudrait se souvenir. Qu’avaient-ils pu bien faire pour être ainsi gommés de nos vies ? Cela me chagrinait.
Un jour où j’étais assis sur mon banc, j’ai commencé à leur parler, un peu timide au départ, je ne les connaissais pas. Je gardais une certaine réserve, je ne voulais pas m’immiscer. Désormais je viens tous les jours et, même les pieds dans l’eau, je discute. Chacun a son histoire, ses souvenirs, parfois intarissables comme s’ils voulaient rattraper le temps perdu. Moi, j’écoute, j’emmagasine, j’enregistre et quand je rentre chez moi, c’est comme si nous nous prenions par la main.
Alors, vous voyez ce banc, ce ne sont pas de simples planches de bois, c’est toute ma vie. Ou plutôt toutes nos vies. D’ailleurs si vous le regardez bien, vous apercevrez une petite plaque de laiton. Je l’ai fixée derrière, j’aime qu’elle soit discrète. J’y ai fait graver une simple phrase, histoire qu’on ne nous oublie pas. « En souvenir d’Adrien et de toutes les rencontres qu’il fit ici. »
Fabienne Boidot-Forget
19 janvier 2025
Texte écrit dans le cadre de l'atelier
d'écriture d'Alexandra Koszelyk
D'après la photo de Vincent Midolo
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