Le gardien des mots

© photo Vincent Midolo Comme tous les lundis, le chat d’Aurore Carabas se tenait sur le pilier du portail de l’entrée. A chaque fois qu’il passait devant, Amédée Grivert ne se sentait pas fier. Un raminagrobis noir au plastron d’hermine, les griffes affutées, des yeux verts jaunes fendus d’un trait d’encre de chine. Le vieil homme avait toujours pensé qu’il pouvait être doté de parole, cela ne l’aurait pas étonné. Un chat de conte, la voix mielleuse, pas forcément sympathique. Dans le quartier, les mauvaises langues disaient que lorsque le chat d’Aurore Carabas était de sortie, sa maîtresse avait d’autres occupations. Amédée Grivert se souvenait parfaitement de ce jour où elle avait poussé la porte de la librairie. Il avait extrait sa tête du rayon littérature italienne, elle se tenait hésitante sur le seuil. - Que puis-je pour vous? - C’est que… Les mots semblaient bloqués dans sa gorge. - Tous ces livres… Aurore Carabas avait une voix douce, un peu grave, trem...